Comme s’il ne faisait pas bon appartenir à la majorité. Après les permanences de plusieurs députés dégradées et leurs vitres brisées, des candidats LREM aux élections municipales doivent composer avec des manifestants qui perturbent leurs meetings. Depuis janvier, de nombreux incidents, un peu partout en France, ont été relatés par la presse locale.
Rien que sur les dix jours qui viennent de s’écouler, on en comptabilise une dizaine : à Vannes, Bègles, Strasbourg, Saint-Denis, ou encore à Arles. À l’origine, on retrouve le plus souvent des opposants à la réforme des retraites. « Un climat pareil est dangereux pour la démocratie », alerte l’un des candidats concernés, Gilles Le Mestre, en lice à Vannes (Morbihan).
« Chacun a le droit d’intervenir, mais seulement si on lui donne la parole »
« On sent une instrumentalisation du débat politique », enrage Benoist Pierre, le candidat de la majorité à Tours. Jeudi soir, entre « 30 et 40 manifestants » ont perturbé sa réunion publique qui a rassemblé environ 300 personnes. Une vidéo publiée par La Nouvelle République montre ces militants interrompre le discours du candidat, à l’Hôtel de ville. « On est là, on est là, même si Macron ne le veut pas, nous, on est là », chantent-ils.
Certains portent un gilet jaune. Tous sont sortis au bout d’une trentaine de minutes, après l’intervention de la sécurité. « On est dans un temps de campagne, donc chacun a le droit d’intervenir, mais seulement si on lui donne la parole », s’agace Benoist Pierre, qui a proposé à ceux qui le souhaitaient de « discuter ». Malgré tout, le candidat ne prévoit pas de changer son programme de réunions publiques et de déplacements. « Pourquoi une minorité, qui a décidé de bloquer toutes mes sorties, m’empêcherait de présenter mes propositions ? » s’interroge-t-il.
Patrick Le Mestre, lui non plus, ne prévoit pas de modifier son planning. Il a pourtant vécu un incident similaire jeudi 30 janvier, à Vannes (Morbihan), où il se présente. Quelques heures avant son meeting, le candidat apprend « par la presse qu’il y a une manifestation prévue trente minutes plus tôt au même endroit ». « On a immédiatement contacté la préfecture, qui nous a dit de maintenir notre meeting et qu’elle sera capable de maintenir l’ordre si besoin », raconte-t-il. Malgré un dispositif policier renforcé, trois manifestants ont réussi à pénétrer dans la salle. Ils ont très rapidement été exfiltrés par le service d’ordre.
À Arles, la députée Monica Michel a convaincu une partie de la cinquantaine de manifestants qui ont perturbé son meeting mercredi 29 janvier de revenir la rencontrer. Le rendez-vous a eu lieu ce jeudi. « Ça leur a permis de s’exprimer sur leurs revendications et leurs attentes », indique celle qui se qualifie de « femme de dialogue ».
Sans surprise, les ministres-candidats ne sont pas épargnés. Le 31 janvier, au Havre, plusieurs centaines de militants ont manifesté pour accueillir le Premier ministre, Édouard Philippe, qui venait officialiser sa candidature. Deux semaines plus tôt, à Paris, la secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, a été prise à partie lors d’un meeting. « Les manifestants disaient être là pour protester contre les retraites. Mais le sujet n’a même jamais été abordé. C’est un climat ultra-violent. On se fait insulter, bousculer », confie celle qui se présente dans le XIVe arrondissement. Plus grave, un assistant parlementaire de la députée LREM de Seine-Maritime, Sira Sylla, a été agressé en marge d’un meeting de campagne, mardi soir à Rouen.
« C’est caractéristique des années 1930 »
Perturber des meetings, « c’est assez récurrent dans la vie politique française », souligne l’historien Jean Garrigues. Mais, ajoute aussitôt ce spécialiste de la vie politique, « à cette fréquence-là, c’est nouveau ». « En tout cas, c’est caractéristique des années 1930, lorsque les ligues d’extrême droite et des mouvements d’extrême gauche allaient perturber les réunions de l’autre camp », précise-t-il.
Retour en 2020. Derrière ces perturbations, certains candidats voient aussi la main d’adversaires politiques. À Tours, Benoist Pierre accuse l’écologiste Emmanuel Denis, à la tête d’une liste citoyenne, d’avoir « instrumentalisé » la manifestation en incitant ces opposants à perturber son meeting. « Mensonges », rétorque l’intéressé. S’il reconnaît que deux de ses colistiers étaient sur place, Emmanuel Denis assure qu’ils n’ont pas participé aux perturbations. « On m’a rapporté qu’un des meneurs était sur la liste adverse. J’en prends acte », témoigne de son côté Monica Michel, sans disposer de preuves pour autant.
Sans dégradation ou violence physique, ces candidats ne portent pas plainte. Mais les incidents s’accompagnent parfois de tags découverts sur la permanence de campagne, comme pour Patrick Le Mestre fin décembre. À Strasbourg, le candidat LREM Alain Fontanel a même reçu à son domicile des documents de campagne recouverts d’une croix gammée. « Je ne céderai jamais aux intimidations, je prendrai toutes les mesures pour protéger bien sûr ma famille, mais aussi toute mon équipe », avait-il répondu.
Quant à Patrick Le Mestre, il alerte : « Quand on voit la manière dont le mouvement des Gilets jaunes a évolué ces derniers mois, on peut s’attendre à tout. »