- Le patron de la compagnie Brittany Ferries Jean-Marc Roué s’inquiète des conséquences du Brexit sur l’activité de son entreprise.
- La sortie du Royaume Uni de l’Union européenne semble refroidir les voyageurs et affréteurs, clients habituels de la compagnie.
- La compagnie basée à Roscoff a inauguré ses nouveaux locaux vendredi à Saint-Malo, en présence du ministre Jean-Yves Le Drian.
Elle incarne à elle seule le lien qui unira à jamais la Grande et la « petite » Bretagne. Habituée à faire la navette entre les côtes françaises et anglaises, la compagnie Brittany Ferries subit de plein fouet les conséquences
du Brexit. Son patron Jean-Marc Roué n’a pas manqué de le rappeler au ministre de l’Europe et des Affaires étrangères
Jean-Yves Le Drian lors de sa visite ce vendredi pour l’inauguration des nouveaux bureaux de l’armateur à Saint-Malo.
Inquiet pour l’avenir de la compagnie basée à Roscoff (Finistère), Jean-Marc Roué s’est confié à 20 Minutes. Sans filtre.
Vous aviez anticipé tous les scénarios de Brexit possibles. Pour rien ?
Oui, on a un peu bossé pour rien. On avait déjà pris une prune en 2016 à cause de la baisse de la livre sterling. Notre chiffre d’affaires avait fondu de 20 %. Le problème, c’est que depuis, on navigue à vue. On est dans un brouillard permanent.
La perspective de la fin de la période de transition au 31 décembre vous inquiète ?
Oui, parce que nous sommes dans le flou. Personne ne sait rien. J’attends de nos élus qu’ils nous rassurent et qu’ils rassurent nos clients britanniques. Cela fait quatre ans qu’il y a des incertitudes. Et cela fait quatre ans que nous perdons 25 millions de chiffre d’affaires par an. C’est ce que j’ai fait savoir au ministre vendredi.
La tendance pour 2020 n’est pas à l’optimisme…
Les réservations ne sont pas la hauteur de 2019, elles sont en recul d’environ 5 %, alors qu’elles avaient déjà baissé de 4,5 % l’an dernier. C’est le cas dans les deux sens, que ce soit vers ou en provenance du Royaume Uni. Et 2021 ne sera pas bonne non plus, je vous le dis. Quand les visiteurs sont dans l’incertitude, ils hésitent à venir. Si on ne fait rien, si on ne fait pas la promotion de nos territoires, ils iront ailleurs ! J’ai l’impression d’être le seul à le dire. Oui, les armateurs comme nous vont en souffrir mais nous ne sommes pas les seuls. Les hôtels, les commerces, l’industrie, l’agroalimentaire, ils doivent bien le sentir aussi.
Qu’attendez-vous du gouvernement français ?
On doit avant tout rassurer, expliquer aux gens qu’ils peuvent toujours venir voyager en Europe, qu’il n’y a aucun changement dans les formalités aujourd’hui. Mais il faut aussi convaincre les instances européennes de faciliter le transit des voyageurs et des marchandises. C’est à nos élus français de le faire valoir. On l’a vu avec les pêcheurs bretons autour de Guernesey, il y a trop de zones de flou.
La situation ne vous empêche pas pour autant d’avancer. Vous allez investir lourdement pour renouveler votre flotte.
Nous n’avions pas investi depuis longtemps donc notre dette est faible. Nous avons un plan d’acquisition ambitieux mais prudent car nous restons une petite entreprise.
Nous avons commandé trois navires (le Honfleur, le Kerry et le Santoña, trois navires propulsés au gaz naturel liquéfié). Mais nous allons devoir reporter la commande du Bretagne 2. Cela fait longtemps qu’il est en attente mais je ne peux pas aller convaincre les banquiers sans un business plan avéré. On ne nous dit rien. Au 1er janvier 2021, je ne sais pas comment on travaillera.
Vous venez de changer l’itinéraire de votre principale liaison de fret entre l’Irlande et l’Espagne. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Nous avions créé une ligne entre Cork et Santander en 2018, en prévision du Brexit. Nous voulions affirmer notre capacité à tenir une cadence régulière et dans les délais. Nous avions comme objectif de transporter plus de 28.000 camions par an mais nous n’y sommes pas. Nous avons décidé de déplacer la ligne entre Rosslare (Dublin) et Bilbao afin de nous rapprocher des zones de fret plus denses. Notre objectif, c’est d’enlever un maximum de camions des routes. Nous en transportons environ 40.000 par an au total. Mais nous pouvons faire mieux.